victimes attentat

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(Mercredi 22 janvier 2003)

Le cas libyen
L'éditorial du Monde

L comme Libye : au chapitre concerné, dans tous les rapports des organisations de défense des droits de l'homme, le bilan est accablant. D'Amnesty International à Human Rights Watch, le régime du colonel Mouammar Kadhafi est, année après année, décrit comme une impitoyable dictature. Les libertés publiques y sont inexistantes ; les opposants écrasés, parfois déclarés "disparus", embastillés incognito, quand ils ne sont pas pourchassés et assassinés à l'étranger. Le régime a sans doute parrainé certaines des opérations terroristes les plus meurtrières de la fin des années 1980 – attentat perpétré contre le vol 103 de la PanAm au-dessus de l'Ecosse, en 1988, celui commis contre un DC-10 d'UTA l'année suivante, notamment. Le système de pouvoir y est aussi opaque qu'un vent de sable dans le désert. Il est fondé sur le secret, l'intimidation ; entièrement aux mains d'un groupe opérant derrière une façade d'institutions purement formelles.
Ce régime vient de se voir attribuer la présidence de la commission des droits de l'homme de l'ONU (CDH) à Genève. Le vote s'est déroulé, lundi 20 janvier, à bulletins secrets. La candidature de la Libye avait été présentée – mauvais présage – il y a plusieurs mois lors du sommet de Durban, tristement célèbre pour les éructations de haine antisémite qu'on y a entendues. C'est le groupe des Etats africains à l'ONU qui a avancé la candidature de la Libye. Des positions défendues par les uns et les autres avant lundi, on peut reconstituer ce qu'a été le scrutin : les pays représentant le "Sud" – Cuba, Soudan, Algérie – ont voté pour la Libye ; les sept pays représentant l'Union européenne se sont courageusement abstenus ; les Etats-Unis et le Canada, notamment, ont voté contre.
L'événement serait clownesque (la CDH s'est déconsidérée depuis longtemps) s'il n'était aussi grave et lourd de conséquences dans les circonstances actuelles. Car voilà une nomination qui affecte, dans l'opinion, la crédibilité de l'ONU au moment où l'organisation doit jouer un rôle majeur dans la crise irakienne. Voilà une nomination qui intervient alors que certains – comme la France – défendent que seule l'ONU a le crédit moral et légal pour dire le droit dans l'affaire irakienne. On imagine déjà la manière dont certains des "faucons" de l'administration Bush pourront se saisir de cet épisode peu glorieux pour amoindrir l'autorité de l'ONU.
Il y a peut-être plus dangereux encore. La désignation de la Libye à la présidence de la CDH révèle un fonctionnement de l'ONU où, de nouveau, s'opposent systématiquement deux blocs. On croyait être sorti de cette logique binaire qui avait paralysé l'organisation durant toute la guerre froide. Or deux blocs antagonistes se sont reconstitués. Sur les droits de l'homme, la justice internationale, le droit d'ingérence, la défense de l'environnement, le Sud, quasi mécaniquement, s'oppose au Nord (la Chine et la Russie s'abstenant ou soutenant le Sud au gré des votes). Au-delà de l'affaire de Genève, cette nouvelle logique des blocs est une évolution inquiétante.
o ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.01.03
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