victimes attentat

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(Mardi 28 janvier 2003)

Tempête aux Nations unies

En dépit de très vives pressions américaines, les Africains font élire une Libyenne à la présidence de la commission spécialisée de l'ONU.


Au terme d'une vive polémique, Najat el-Hajjaji, l'ambassadeur de la Libye auprès des Nations unies, a été élue, le 20 janvier à Genève, présidente de la Commission des droits de l'homme (CDH) de l'ONU. Depuis la création de cette institution, en 1946, jamais élection n'avait soulevé autant de contestations. Retour en arrière.
Sachant que la présidence tournante de la CDH reviendra, en 2003, au groupe africain, la Libye propose, en mars-avril de l'année précédente, la candidature de son ambassadeur à l'ONU, Najat el-Hajjaji. Lors de la réunion du Comité des représentants permanents, qui se tient le 3 juillet, juste avant le sommet constitutif de l'Union africaine, celle-ci est acceptée, à l'unanimité, par les quinze pays africains membres de la Commission, avant d'être entérinée par le Conseil des ministres, puis, le 10 juillet à Durban (Afrique du Sud), par les chefs d'État.

Bref, la candidature libyenne, « première résolution de la grande Union africaine », comme dit Najat el-Hajjaji, passe comme une lettre à la poste. S'agit-il d'une marque de reconnaissance à l'endroit de Mouammar Kaddafi, inspirateur de l'idée de l'Union africaine ? Sans doute, mais, en toute occurrence, la Libye était seule candidate. Le choix d'el-Hajjaji, qui a déjà, en 2001, occupé la vice-présidence de la CDH, n'a d'ailleurs rien extravagant...

Les États-Unis ne l'entendent évidemment pas de cette oreille. Ulcérés par leur éviction de la Commission, en 2001, ils ont déclenché une active campagne de lobbying dans le but de récupérer leur siège. À peine sont-ils parvenus à leurs fins, en avril 2002, qu'ils apprennent la candidature à la présidence de la représentante d'un « État voyou » accusé par eux de soutenir le terrorisme. La pilule leur reste en travers de la gorge.

Dès le mois d'août, Washington exprime sa « profonde inquiétude » et rappelle « le bilan calamiteux de la Libye en matière de droits de l'homme ». Et notamment les violences xénophobes dont un millier d'immigrés subsahariens ont été victimes, deux ans auparavant. Diverses organisations de défense des droits de l'homme montent au créneau pour tenter de convaincre le groupe africain de désigner un autre candidat. Human Rights Watch, par exemple, intervient auprès de plusieurs chefs d'État (Thabo Mbeki, Abdoulaye Wade, Olusegun Obasanjo) et publie communiqué sur communiqué : « Nous comprenons le problème qui s'est posé à vous lorsque vous avez fait participer la Libye au développement du Nepad et de l'Union africaine, mais [élire ce pays] serait mauvais pour la crédibilité du Nepad et remettrait gravement en cause l'engagement de l'Afrique en faveur des droits de l'homme », écrivent ses responsables.

La Libye s'empresse d'allumer des contre-feux, fait valoir sa « stabilité politique et économique » et dénonce la campagne « mensongère » déclenchée contre elle par un pays « ennemi ». Classique. Mais Seïf el-Islam Kaddafi, fils du Guide de la Jamahiriya, argumente de manière plus inattendue : « C'est vrai, admet-il dans une interview à la BBC, le 5 septembre, la situation des droits de l'homme est mauvaise chez nous. Mais c'est la même chose dans tout le Tiers Monde et, en particulier, au Moyen-Orient. Le fait que l'un de ces pays obtienne la présidence serait une bonne chose. Cela constituerait un obstacle dressé face à ceux qui violent les droits de l'homme. »

Le colonel fera lui aussi un geste de bonne volonté en libérant soixante-cinq « prisonniers politiques » une semaine avant le trente-troisième anniversaire de son arrivée au pouvoir (le 1er septembre).

Tout cela reste sans effet sur l'administration Bush, qui, entre-temps, est parvenue à rallier à ses vues le Canada et les conservateurs britanniques, ces derniers portant bientôt le débat devant le Parlement. À l'approche de l'élection du bureau de la CDH, les pressions s'intensifient. Le 3 janvier dernier, la Maison Blanche annonce la prorogation des sanctions contre le Libye (imposées par Ronald Reagan en 1986). Dix jours plus tard, Richard Boucher, le porte-parole du département d'État, fait savoir que les États-Unis souhaitent que le futur président, traditionnellement désigné par acclamation, le soit cette fois à l'issue d'un vote à bulletins secrets, afin de « conserver son autorité morale à la Commission ».

Selon une source diplomatique, les Américains ont alors « clairement signifié aux représentants des quinze pays membres africains que la poursuite de bonnes relations avec les États-Unis dans le cadre de l'Agoa (voir pp. 77-79) dépendait de leur rejet du candidat libyen ». Après avoir énuméré les actions terroristes imputées au régime de Mouammar Kaddafi, Kevin Molley, le représentant des États-Unis au sein de la CDH, a rappelé à ses collègues que Washington considère les pays qui partagent sa conception des relations internationales comme des « amis ». Et tous les autres, comme des « ennemis ».

En dépit de ces mises en garde, l'issue du vote ne fait guère de doute, les États asiatiques et moyen-orientaux étant de plus en plus réfractaires à l'idée d'écarter un candidat au seul motif qu'il déplaît aux États-Unis. Après concertation, les sept pays membres de l'Union européenne décident quant à eux de s'abstenir - une façon de marquer les réserves que leur inspire une présidence libyenne, tout en ménageant leurs partenaires africains et arabes. De fait, avec 33 voix pour, 17 abstentions et seulement 3 voix contre (vraisemblablement les États-Unis, le Canada et le Guatemala), la Libyenne Najat el-Hajjaji est élue dans un fauteuil et devient le cinquante-neuvième président de la Commission des droits de l'homme de l'ONU.

Le « loup libyen » est-il, comme l'affirme un chroniqueur américain, « entré dans la bergerie des droits de l'homme » ? Et les États-Unis vont-ils quitter la Commission, comme ils se sont retirés, entre 1984 et 2002, de l'Unesco ?

Ces dernières années, la CDH a été l'objet de virulentes critiques pour son peu d'empressement à condamner les violations des droits de l'homme perpétrées par certains gouvernements. Pour imposer son autorité - essentiellement morale -, elle a impérativement besoin de disposer d'une bonne image dans l'opinion. Le fait d'être présidée par le représentant d'un pays qui reste sous le coup de sanctions onusiennes ne contribuera pas à redorer son blason. On peut donc regretter que le groupe africain n'ait pas choisi un pays plus soucieux du respect des libertés fondamentales. Cela n'a pas empêché la Jamahiriya, avec sa modestie coutumière, de se féliciter de sa « victoire éclatante », qui « rétablit dans leurs droits les peuples opprimés ».

Pourtant, l'importance de la présidence de la CDH est très relative et ne peut se comparer, par exemple, à celle du Haut-Commissariat de l'ONU. Pour l'essentiel, son rôle se limite à organiser les travaux de la session annuelle. Qui se souvient des noms des prédécesseurs de Najat el-Hajjaji ? (Le dernier était le Polonais Krzysztof Jakubowski.) Tous, d'ailleurs, n'étaient pas originaires de pays inattaquables sur le plan des droits de l'homme, qu'il s'agisse de l'Iran du shah (1970), du Brésil des généraux (1981) ou de la Bulgarie communiste (1982).

Si la colère des familles des victimes des attentats contre le DC-10 d'UTA (en 1989) et le Boeing de la PanAm (l'année précédente) est légitime, ces deux actes criminels étant imputés à la Libye, l'indignation des députés français et britanniques paraît, en revanche, bien tardive. Seuls, en effet, les pays membres de la CDH (voir encadré p. 75) peuvent postuler à la présidence, à la différence des simples « observateurs ». Or qui s'est opposé à l'élection de la Libye, en 2001 ? Il y a là, pour le moins, de l'inconséquence. La Jamahiriya n'est d'ailleurs pas seule en cause. Également membres de la CDH, l'Arabie saoudite, la Chine et le Soudan seront un jour fondés à présenter leur candidature. De même, la Syrie assumera la présidence du Conseil de sécurité de l'ONU en août 2003. Ainsi va la bureaucratie onusienne...

Dernier enseignement de ce scrutin contesté : la solidarité sans faille manifestée par les pays africains, qui, en dépit des pressions américaines, ont voté comme un seul homme pour le candidat du continent, ce qui est loin d'avoir toujours été le cas dans le passé. Un bon point pour l'Union africaine, qui, presque au même moment, est parvenue à imposer une candidature africaine unique (celle du Mozambicain Pascoal Mocumbi) pour l'élection, le 28 janvier, du directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Cécile Hennion et Cheikh Yerim Seck

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