victimes attentat

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(Samedi 21 juin 2003)

L'affaire des Moudjahidines met en lumière la "méthode Bruguière"

L'interpellation de 160 militants opposés au régime de Téhéran rallume la controverse sur les pratiques du juge d'instruction antiterroriste. Ses partisans mettent en avant les attentats évités en France. Ses détracteurs dénoncent les longues détentions de suspects finalement relaxés.

Sur l'échiquier de l'antiterrorisme français, Jean-Louis Bruguière joue depuis longtemps en maître. En plus de vingt ans d'instruction spécialisée sur ces dossiers, le juge a souvent donné l'impression d'instaurer ses règles du jeu et d'incarner toutes les pièces à la fois (sauf les pions et, sans doute, le roi). Son poste a été taillé sur mesure : le magistrat continue d'instruire les affaires les plus importantes ; il a aussi la haute main sur l'ensemble des enquêtes antiterroristes de ses collègues depuis qu'il a été promu, en 1995, "premier vice-président, chargé de l'instruction" au tribunal de grande instance de Paris.

L'opération policière contre l'organisation des Moudjahidines du peuple iranien, qui s'est soldée, mardi 17 juin, par plus de 160 interpellations, a une nouvelle fois donné du grain à moudre aux pourfendeurs du "système Bruguière", qui dénoncent le contraste entre les moyens employés et les résultats obtenus. Depuis des années, avocats et défenseurs des libertés critiquent ses rafles à répétition et la longueur des détentions provisoires de "suspects" dont une bonne partie sont laissés en liberté à l'issue des procès.

Mais les méthodes sécuritaires, pour ne pas dire policières, du magistrat plaisent aux gouvernements, de droite comme de gauche, qui louent l'efficacité de cette justice préventive. Ses partisans mettent en avant les attentats évités en France depuis le 11 septembre 2001, grâce notamment aux interpellations des islamistes de La Courneuve et de Romainville (Seine-Saint-Denis) en décembre 2002.

Les exemples de la singulière maestria du juge Bruguière ne manquent pas. Ainsi du procès du "réseau Chalabi" (du nom d'un groupe de soutien aux maquis islamistes algériens) au cours duquel pas moins de 138 prévenus avaient été jugés en 1998. Mettant tout son pouvoir dans la balance, M. Bruguière avait obtenu qu'une modification législative autorise le tribunal de Paris à se transporter dans un gymnase de l'administration pénitentiaire. Le dossier à charge s'était pourtant avéré mal ficelé : après des années d'instruction, 35 "suspects" avaient d'abord obtenu un non-lieu ; puis 31 prévenus avaient été relaxés par le tribunal. Plus tard, la Cour de cassation avait accordé près de 2 millions de francs d'indemnités à une vingtaine des relaxés pour compenser leur maintien en détention.

"COW-BOY" OU "AMIRAL"

Face à des "mouvances" terroristes aux ramifications nationales et internationales, les procédés expéditifs d'un juge surnommé "le cow-boy" par ses détracteurs donnent cependant des résultats probants. Avec ses appuis dans les milieux d'enquêtes policières et les services de renseignement, le "système Bruguière" a réussi, par exemple, la traque des auteurs de la campagne d'attentats islamistes meurtriers qui ont secoué la France en 1995. Et la cour d'assises spéciale de Paris a condamné les deux principaux accusés à la réclusion criminelle à perpétuité.

Au nom de l'efficacité, M. Bruguière utilise sans réserve les moyens d'exception de la justice antiterroriste (centralisation des dossiers à Paris aux mains de magistrats spécialisés, garde à vue pouvant aller jusqu'à 96 heures). Arme absolue du magistrat, l'information judiciaire ouverte contre X... pour association de malfaiteurs permet de ratisser large. Les coups de filet sont alors très utiles à la constitution de "carnets d'adresses" qui pourront être utilisés plus tard dans d'autres enquêtes. Cette boulimie d'interpellations satisfait les policiers et leur soif insatiable de renseignements conservés en mémoire pour retrouver, un jour, d'éventuels suspects.

Conjuguant justice et diplomatie, le juge Bruguière s'est aussi lancé dans des entreprises internationales risquées. Dans l'enquête sur l'attentat du DC-10 d'UTA (170 morts, le 19 septembre 1989), il n'avait pas hésité à lancer des mandats d'arrêt contre des responsables des services de renseignement de Tripoli, en Libye, dont le beau-frère du colonel Kadhafi. En 1992, une lettre du magistrat stigmatisant l'absence de coopération libyenne avait été adoptée comme document de référence par le Conseil de sécurité de l'ONU qui allait voter un embargo contre la Libye. Peu après, M. Bruguière avait voulu poursuivre son enquête en débarquant sur le sol libyen à bord d'un aviso de la marine nationale. Tripoli avait refusé l'accostage de ce bâtiment armé (torpilles, missiles Exocet) et le magistrat y avait gagné un autre surnom, "l'amiral".

INITIATIVE BRISÉE

Mais M. Bruguière n'aura pas lâché prise dans ce dossier de l'attentat le plus meurtrier jamais commis contre des intérêts français. Il faut dire que le procès des six Libyens poursuivis avait eu l'allure d'un simulacre, en 1999 à Paris : absents, les accusés avaient été condamnés à la réclusion à perpétuité, par contumace ; ils sont toujours en liberté.

Contre l'avis du parquet, le juge Bruguière avait alors donné satisfaction aux familles des victimes en décidant de poursuivre le colonel Kadhafi en personne. Mais son initiative s'est brisée contre un arrêt de la Cour de cassation, qui a mis fin à ces poursuites en arguant de l'immunité d'un chef de l'Etat en fonction. Sur ce dossier comme sur d'autres, la devise du juge Bruguière - "Le droit donne la force" - aura montré ses limites.

Erich Inciyan

17 militants iraniens devant la justice

17 des 22 sympathisants de l'Organisation des Moudjahidines du peuple iranien (OMPI), dont Maryam Radjavi, ont été présentés à la justice samedi 21 juin au matin au terme de leur garde à vue, a indiqué l'AFP. Ils devaient être présentés dans l'après-midi à trois juges antiterroristes.
D'autre part, des élus du Congrès américain se sont émus auprès du président français du sort réservé aux Moudjahidines du peuple iranien après le coup de filet de la police à Auvers-sur-Oise (Val-d'Oise). "Ces arrestations servent les intérêts de la dictature terroriste au pouvoir en Iran", a écrit le démocrate Lacy Clay, demandant à M. Chirac de libérer "immédiatement" Maryam Radjavi, "afin d'empêcher le régime des mollahs d'exploiter la situation". Le sénateur républicain Sam Brownback s'est associé à cette démarche par un courrier à l'ambassadeur de France à Washington, Jean-David Levitte. - (AFP)

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.06.03

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