victimes attentat

victimes attentat
(Vendredi 15 août 2003)

Les ayants droit de l'attentat contre le DC 10 d'UTA qui a fait 170 morts de 17 nationalités différentes en 1989 attendent toujours des compensations décentes
Paris revendique un traitement équitable

Luc de Barochez

L'accord de Lockerbie prend la diplomatie française en défaut. Il fait rétrospectivement apparaître le peu de cas que Paris a fait de l'indemnisation des familles des victimes de l'attentat terroriste le plus meurtrier qui ait jamais frappé les intérêts français. Américains et Britanniques ont pu, à force de pressions, de démarches et de persévérance, obtenir cette semaine une promesse d'indemnités élevées pour les victimes de l'attentat de 1988 contre un Boeing 747 de la PanAm assurant un vol Londres-New York.

Les Français en revanche s'étaient contentés en 1999, pour l'attentat perpétré dix ans plus tôt contre un DC 10 de la compagnie française UTA à 10 000 mètres au-dessus du Niger, de compensations financières dont le montant apparaît aujourd'hui bien maigre. Paris avait accepté le versement par Tripoli d'une obole comprise entre 3 000 et 30 000 euros par ayant droit des victimes. En comparaison, la Libye a consenti avant-hier au paiement de 10 millions de dollars (1 dollar vaut 0,9 euro) à chacune des familles des victimes du carnage de Lockerbie.

Dans un cas comme dans l'autre, la responsabilité des services libyens a été établie par la justice. C'est même encore plus clair dans le cas français. En 1999, un procès à Paris a permis de condamner – par contumace – à la prison à vie six hauts fonctionnaires libyens pour leur implication dans la destruction en vol du DC 10 d'UTA qui assurait le 19 septembre 1989 la liaison Brazzaville-N'Djamena-Paris. Une instruction fleuve menée par le juge Jean-Louis Bruguière a permis d'identifier les commanditaires de l'attentat qui a fait 170 morts, de 17 nationalités différentes. Abdallah Senoussi, beau-frère de Mouammar Kadhafi, figurait dans la liste des condamnés. Quant à l'affaire de Lockerbie, une cour écossaise spéciale siégeant aux Pays-Bas a condamné en 2001 à la détention à perpétuité un agent secret libyen, Abdel Basset Ali al-Megrahi, pour son implication dans le crime. Elle a acquitté un second inculpé.

Si la Libye a su se montrer relativement généreuse cette semaine pour les victimes de Lockerbie, c'est aussi parce que, depuis 1999, le contexte a changé. Dans la foulée du 11 septembre 2001, Mouammar Kadhafi, peut-être impressionné par les avertissements du président George W. Bush («ceux qui ne seront pas avec nous seront contre nous»), a réorienté la politique de son pays dans le sens d'un rapprochement avec les États-Unis. Il œuvre activement pour attirer les investissements occidentaux dans son secteur pétrolier, dans l'espoir de faire enfin décoller son économie. Cela implique au préalable une levée définitive des sanctions onusiennes, la fin de l'embargo unilatéral imposé par les États-Unis et la sortie de la Libye de la liste des pays soutenant le terrorisme dressée chaque année par le département d'État américain.

La France, elle, a révisé sa politique l'an dernier, en décidant d'essayer d'obtenir une révision en hausse des indemnités pour les victimes du DC 10. Le signal était venu de Tripoli. C'est le fils de Kadhafi, Seïf al-Islam, qui, lors d'un séjour à Paris en février 2002, a laissé entendre aux représentants des familles qu'un nouvel accord était possible. En octobre 2002, le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin se rend à Tripoli et expose aux autorités libyennes l'importance qu'il attache au dossier. Cette détermination semble porter ses fruits aujourd'hui puisque les négociations entre le collectif des familles et la Fondation Kadhafi, présidée par Seïf al-Islam, semblent bien engagées.

La diplomatie française utilise désormais l'accord de Lockerbie comme une carte pour soutenir les revendications des victimes du DC 10. Dès la semaine dernière, sentant venir l'annonce de l'accord, le Quai d'Orsay a mis en avant le principe d'un traitement «équitable» des victimes des deux attentats. En clair, les familles des passagers de l'avion français doivent obtenir à peu près autant que ceux de l'avion américain. «La France considère que l'indemnisation des familles des victimes de ces deux attentats abominables est un aspect fondamental du règlement du dossier libyen aux Nations unies. Elle n'est pas prête à transiger sur ce point», a prévenu le ministère des Affaires étrangères.

Pour faire valoir ses revendications, Paris a un atout. La levée des sanctions onusiennes, que Tripoli attend avant de commencer ses versements aux victimes de Lockerbie, dépend d'un accord du Conseil de sécurité de l'ONU. La France, qui y dispose d'un droit de veto, est en position de force. Elle a prévenu qu'elle n'accepterait l'abrogation définitive des sanctions (suspendues depuis la livraison par la Libye des deux suspects de Lockerbie, en 1999) que lorsque les familles des victimes du DC 10 se seront vu promettre des indemnités «équitables».

De son lieu de vacances, le ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, s'est démené au téléphone ces derniers jours pour avertir ses homologues libyen, américain et britannique de la fermeté française. «Nous sommes en contact étroit avec l'ensemble de nos partenaires concernés à qui nous avons rappelé clairement notre position et notre détermination», a indiqué hier une porte-parole du Quai d'Orsay. Le coup de bluff tardif de Paris finira peut-être par payer.

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