victimes attentat

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(Vendredi 15 août 2003)

Un collectif de familles de victimes du vol UTA 772 négocie avec Tripoli

De son côté, l'association SOS-Attentats dénonce "l'indifférence" du Quai d'Orsay
et exige un règlement "d'Etat à Etat".

"Le quai d'Orsay cherche à rattraper le temps perdu et les erreurs commises." Les démarches entreprises, mercredi 13 août, par Dominique de Villepin pour obtenir une réévaluation des indemnités attribuées aux victimes du vol UTA 772 n'apaisent pas la colère de Françoise Rudetzki, la présidente de l'association SOS-Attentats. Cette association, qui défend les familles de 77 des 170 victimes de l'attentat du 19 septembre 1989, ne comprend pas que Paris n'ait pas obtenu ce que Londres et Washington sont sur le point d'arracher à Tripoli. Elle qualifie de "miettes" les indemnités obtenues - 3 000 à 30 000 euros par famille -, et affirme que "jusqu'à ces derniers jours, le Quai d'Orsay n'a rien fait et a laissé les victimes mener seules les procédures judiciaires".

Françoise Rudetzki évoque un "tournant", un "changement de ton", ressenti lors de sa rencontre, le 4 juillet, avec Dominique de Villepin : "Jusqu'à présent on nous disait de tourner la page, qu'il était temps d'oublier. Et puis il y a eu soudain ce nouveau discours. Londres et Washington tenaient au courant Paris qu'il pouvait y avoir une importante indemnité pour les familles de Lockerbie. Le ministre nous a alors dit qu'il fallait trouver une solution équitable pour les proches des victimes du vol 772."
Outre leur longue "indifférence", la présidente de SOS-Attentats reproche aux autorités françaises d'avoir été "conciliantes" à l'égard de la Libye, "préservant les intérêts économiques et les contrats juteux plutôt que de défendre la mémoire des victimes". Me Francis Szpiner, avocat de SOS-Attentats, évoque un "lobby pro-libyen qui cherche à vendre des avions" et crée des "pesanteurs". Un lobby qui fait que "l'intérêt des victimes n'est pas toujours apparu comme la motivation principale de la France dans cette affaire".

Ancien membre de SOS-Attentats, Guillaume de Saint-Marc, dont le père est mort dans l'attentat du DC-10, a créé en février 2002 un "collectif des familles des victimes du vol UTA 772" regroupant 95 familles - dont la majorité sont aussi adhérentes de SOS-Attentats. Ce collectif travaille depuis sa création avec la Fondation Khadafi - une fondation caritative dirigée par Saïf Al-Islam, le fils du colonel Kadhafi -, une "compromission" aux yeux de Françoise Rudetzki, qui veut des "négociations d'Etat à Etat".

Comme la présidente de SOS-Attentats, Guillaume de Saint-Marc estime avoir été "trahi par les autorités françaises, qui ont clos le dossier alors que nous étions en position d'attente" après la condamnation le 10 mars 1999 par contumace de six suspects à la réclusion à perpétuité par la cour d'assises de Paris. "Entre 1999 et 2000, l'attitude du Quai d'Orsay a été ressentie comme un abandon complet." Il considère néanmoins qu'"après de nombreuses rencontres au Quai d'Orsay et à l'Elysée au printemps 2002, les autorités françaises ont pris la mesure de la détresse des victimes". Au printemps 2002, soit un an avant que la Libye n'annonce - le 29 avril 2003 - un dédommagement substantiel des victimes de l'attentat de Lockerbie. Après la visite de Dominique de Villepin à Tripoli, en octobre 2002,"nos intermédiaires libyens, qui nous prenaient pour des rigolos, ont commencé à nous considérer sérieusement".


UNE TROISIÈME VISITE

C'est ainsi que M. de Saint-Marc a pu entreprendre du 12 au 15 juillet, puis lundi 11 et mardi 12 août, des visites à Tripoli pour obtenir une indemnisation "comparable" à celle des victimes du Lockerbie, "déduction faite des taxes et frais d'avocats, soit moitié moindre". "Nos initiatives pour trouver une solution négociée sont soutenues par le Quai d'Orsay. C'est même la pression du ministère qui a permis ces deux premières visites", fait remarquer le fondateur et porte-parole du collectif. Une troisième visite est prévue pour ce week-end afin de "déboucher sur un document conjoint qui donne un chiffre d'indemnisation satisfaisant pour tous".

L'ambassadeur de Libye à Londres, Mohammad Al-Zouaï, a confirmé, jeudi soir, que "pour résorber une crise possible, le ministère des affaires étrangères libyen travaillait avec la fondation Kadhafi pour étudier davantage les demandes humanitaires" des familles des victimes du vol UTA 772.

Pour sa part, la présidente de SOS-Attentats, Françoise Rudetzki, estime que ces pourparlers informels n'ont guère de chance d'aboutir. Quant à l'attitude à venir de la France, la présidente pense que "par son veto au Conseil de sécurité, la France a les moyens de faire rouvrir les négociations d'Etat à Etat". Et de conclure : "Nous demandons simplement le même traitement que les victimes de Lockerbie. Si les Etats-Unis avaient eu la charge de notre dossier, il n'y aurait pas deux poids, deux mesures."

Yann Laurent


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19 septembre 1989, vol UTA 772 : 170 morts

Le 19 septembre 1989, un DC-10 de la compagnie française UTA qui reliait Brazzaville à Paris via N'Djamena (Tchad) explose en vol au-dessus du désert du Ténéré (Niger). Les 170 passagers et membres d'équipage (dont 53 Français) que compte à son bord l'appareil sont tués. Le juge Jean-Louis Bruguière, chargé de l'instruction, identifie "un faisceau de preuves et de présomptions impliquant les services de renseignement libyens" et présente ses conclusions le 19 septembre 1996. Responsables des services secrets ou de la diplomatie libyens, six suspects sont condamnés par contumace à la réclusion à perpétuité le 10 mars 1999. Parmi eux, Abdallah Senoussi, beau-frère du colonel Kadhafi et numéro deux des services secrets libyens. Tripoli n'a jamais fait appliquer le verdict, la Libye ne considérant pas les condamnations par contumace comme la garantie d'une culpabilité. Elle a reconnu uniquement la responsabilité de ressortissants libyens, et a transféré à la France 30,49 millions d'euros destinés à indemniser les ayants droit des victimes et à compenser les "pertes commerciales" d'Air France.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.08.03

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