victimes attentat

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(Mardi 19 août 2003)

Les sanctions à l'encontre de la Libye en voie d'être levées


LE MONDE | 19.08.03 | 13h05   •  MIS A JOUR LE 19.08.03 | 15h25

Londres a déposé à l'ONU son projet de résolution résultant de l'accord sur l'attentat de Lockerbie.
New York (Nations unies) de notre correspondante

Veto ? A l'ONU, un haut responsable soupire. "Je ne comprends pas les Français. Cette affaire était réglée, non ?"

Comme prévu, Londres a déposé lundi 18 août à l'ONU un projet de résolution proposant la levée des sanctions contre la Libye, après l'accord conclu pour l'indemnisation des familles des victimes de l'attentat de Lockerbie. Devant le Conseil, le représentant permanent adjoint de la France, Michel Duclos, a prévenu que Paris s'y "opposerait" tant que Tripoli n'aurait pas accepté une compensation "équitable" pour les familles des victimes de l'explosion du DC-10 d'UTA.

Le mot de veto n'a pas été prononcé. Mais le diplomate français a été clair. Il a rappelé le nombre de victimes (270 morts dans l'attentat de Lockerbie, 170 morts de 17 nationalités, dont 54 Français, dans celui d'UTA), le montant des compensations obtenues de la Libye (10 millions de dollars par famille dans le premier cas, 34 millions pour l'ensemble des victimes dans le second) et il a évoqué les discussions en cours avec les Libyens pour "combler l'écart" entre ces statistiques. Il a ensuite évoqué les scénarios possibles.

Soit un accord intervient rapidement entre les familles des victimes d'UTA, le gouvernement français et la Libye, et Paris vote le texte déposé par les Britanniques (et coparrainé par la Bulgarie). Soit les discussions prennent "un certain temps" : Paris compte alors "sur la solidarité des membres du Conseil" et espère que ses amis anglais et américains différeront le vote. Soit Londres demande un vote au plus vite et, dans ce cas, la France s'y "oppose" - autrement dit met son veto, ce qui ne lui est pas arrivé depuis 1989 à propos d'un texte sur le Panama. La position française a plongé le Conseil dans la perplexité. "Sur le fond, les Français ont raison de demander plus. L'écart entre les indemnisations est monstrueux, confie un diplomate d'un "petit" pays du Conseil. Mais, en même temps, les Américains ont mieux négocié."

EXIGENCES DIFFÉRENTES

L'idée que le gouvernement français ne peut s'en prendre qu'à lui-même est assez largement partagée. Les diplomates rappellent que la France a même fait savoir au secrétaire général par une lettre du 13 octobre 1998 que ses "demandes avaient en général été satisfaites" par la Libye. De fait, dès le départ, les exigences présentées par Londres et Washington d'un côté, par Paris de l'autre, ont été très différentes. Les deux premiers ont exigé la livraison des suspects et le versement d'indemnités "appropriées". La France n'a jamais demandé l'extradition des agents impliqués suspects, mais en a jugé six par contumace en espérant que les peines seraient appliquées par la Libye, conformément à un engagement donné par Kadhafi à Jacques Chirac dans une lettre de mars 1996.

Côté français, c'est une cour d'assises qui a fixé le montant des indemnités aux familles des victimes, en mars 1999, selon un barème français. Côté américano-britannique, des avocats ont négocié pendant des années et conclu un marché qui va jusqu'à impliquer le calendrier du Conseil de sécurité (dépôt de 2,7 milliards de dollars sur un compte séquestre lors du dépôt de projet de résolution ; déblocage de 4 millions de dollars lorsque les sanctions sont levées, etc.).

Quoi qu'il en soit, "l'énormité de la somme" acceptée par les Libyens a résonné comme un signe de discrimination aux yeux des Français. Pour ceux-ci, aucune urgence ne presse le Conseil sur la question de sanctions qui sont, de toute façon, suspendues depuis 1999 et la remise des suspects de l'attentat de Lockerbie à une cour écossaise siégeant aux Pays-Bas.

Les Français entendent adresser un signal à la Libye. Comme l'a reconnu sans détour le ministre libyen des affaires étrangères Abdel Rahmane Chalgham, lundi dans une interview à Al-Jazira, l'argent sert aux yeux de la Libye à "acheter la levée des sanctions" de l'ONU.

Le Royaume-Uni et les Etats-Unis vont-ils faire à Paris le cadeau de repousser le vote ? Rien, lundi, ne le laissait présager. "Ce n'est pas seulement que les Français ne sont pas prêts, indiquait un diplomate du Conseil. Mais ils sont incapables de dire quand ils le seront." De nouvelles consultations sont prévues mercredi. D'ici là, les Américains, qui n'ont de toute façon pas l'intention de plier leur législation nationale au marché libyen (2 millions de dollars s'ils retirent Tripoli de la liste des Etats qui soutiennent le terrorisme), tiennent à s'assurer que "l'argent est bien arrivé" en Suisse.

Corine Lesnes

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 20.08.03

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