victimes attentat

(Jeudi 10 novembre 2005)

Libye : Du sang et des larmes

de notre envoyé spécial Philippe Broussard

Des centaines d'enfants souffrent du sida au pays de Kadhafi. Cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien, accusés de leur avoir sciemment injecté le virus, mais qui clament leur innocence depuis 1999, risquent la peine capitale. Un drame humain - à Sofia comme à Tripoli - sur lequel plane l'ombre du régime du colonel

Ces enfants-là se reconnaissent à leurs yeux. Des yeux sombres, perdus entre vie et mort. Naja, Youssef, Abdallah… tous ont les mêmes cernes, la même pâleur, le même air interrogateur. Il n'y a ni haine ni révolte dans leur regard, juste une immense fatigue; peut-être aussi, entre deux sourires, un début de renoncement. Bien sûr, les plus jeunes ignorent tout du mal qui les ronge - que sait-on du sida à 8 ans? - mais ils se sentent, ils se savent, différents des autres petits Libyens. Plus chétifs, plus fragiles, condamnés aux médicaments indigestes, au manque d'appétit... Les parents, eux, appréhendent le jour où ils devront expliquer à ces gamins, devenus des ados, ce qu'est cette maladie et comment 431 d'entre eux l'ont contractée, des années plus tôt, dans un hôpital de Benghazi, la deuxième ville du pays.

Par son ampleur (51 décès à ce jour, selon les Libyens), cette affaire relève de l'indicible. Par ses enjeux, elle touche au politique. Et, si Benghazi en demeure l'épicentre, c'est à Tripoli, la capitale, qu'elle se joue en partie. Cinq infirmières bulgares et un médecin palestinien, accusés depuis 1999 d'avoir sciemment injecté le virus à des centaines de jeunes patients, y encourent la peine de mort. D'éminents spécialistes du sida ont beau assurer que l'épidémie est sans doute due aux mauvaises conditions sanitaires de l'hôpital, la Libye de Kadhafi, soucieuse de masquer ses défaillances, les juge coupables. Seule la Cour suprême du pays peut casser ce verdict, le 15 novembre. A moins que la mobilisation internationale ne porte ses fruits avant cette date... Les Etats-Unis et l'Union européenne réclament la libération des condamnés. Le Conseil de l'Europe dénonce la «barbarie» avec laquelle ils ont été traités. Rien n'y fait. C'est ainsi: il y a loin de Benghazi à Tripoli - un millier de kilomètres. Encore plus loin de Tripoli à Sofia...

Un monde d'incompréhension sépare ces deux pays, où L'Express s'est rendu à une semaine d'intervalle. En Bulgarie, les infirmières sont perçues comme les boucs émissaires d'un système de santé délabré. En Libye, seuls comptent le sort des enfants et le châtiment des «assassins». Les récents propos de George Bush exigeant leur libération ont renforcé cette double exigence. «Le monde se soucie davantage de ces tueuses que de nos enfants!» lancent, avec une émotion sincère, les parents rencontrés à Benghazi.

Voilà bientôt sept ans que cette histoire de sang et de larmes mêle ainsi l'affectif et l'irrationnel, stratégies de coulisses et haute diplomatie. Pour en comprendre la genèse, il faut revenir en 1998. A l'époque, la Bulgarie et la Libye entretiennent les meilleures relations. Attirés par des salaires de cinq à dix fois supérieurs à ceux de leur pays, de nombreux Bulgares vivent à Benghazi (1 million d'habitants). Parmi eux, quatre infirmières de l'hôpital pédiatrique Al-Fateh: Valia Cherveniachka, Nassya Nenova, Valentina Siropoulo et Snejana Dimitrova. Agées de 32 à 53 ans, elles sont mariées et mères de famille. La plus jeune, Nassya, a un fils de 10 ans, Radoslav, et un mari médecin, Ivan, censé la rejoindre dès que possible.

Cent trente jours sans lumière ni eau courante
A l'été 1998, la situation se détériore. Des cas de sida sont signalés à l'hôpital. Des dizaines d'enfants auraient contracté le virus alors qu'ils étaient hospitalisés dans certains services de l'établissement. En terre d'islam, le sujet est sensible. Surtout au pays de Kadhafi. La «Grande Djamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste» ne se targue-t-elle pas d'être épargnée par ce fléau? Bien sûr, le sida a déjà été signalé ici ou là, mais il ne pouvait s'agir que d'étrangers...

En novembre 1998, les autorités ordonnent la fermeture d'un magazine qui a osé mettre en cause l'hygiène de l'hôpital. L'enquête de police, dirigée par le colonel Juma al-Mesheri, s'oriente quant à elle vers la piste criminelle. Le 25 janvier 1999, un médecin palestinien, Ashraf al-Hadjudj, est arrêté. Des Philippins et des Libyens sont interrogés. Et puis, le 9 février au soir, 23 Bulgares sont à leur tour interpellés, avec une extrême brutalité; 17 d'entre eux seront relâchés dans les semaines suivantes. Les autres resteront en prison. Dans le plus grand secret, plusieurs femmes se retrouvent ainsi dans un centre de dressage pour chiens policiers. Elles subissent tant de sévices et d'humiliations que Nassya Nenova, la benjamine, tente de se suicider. Le Dr Zdravko Gueorguiev passe, lui, cent trente jours dans une geôle sans lumière ni eau courante. Comme les autorités bulgares tardent à réagir, le calvaire dure des mois. «Nous n'avions pas d'informations, nous ignorions qu'ils étaient maltraités», se souviennent leurs proches.

Au fil du temps, à mesure que le nombre d'enfants séropositifs augmente, la liste des suspects s'affine. Il sont seize, neuf Libyens et sept étrangers: le médecin palestinien, les quatre infirmières bulgares, le Dr Zdravko Gueorguiev et sa femme, Kristiana, infirmière dans un autre établissement. Des flacons de plasma contaminé auraient été saisis - en son absence - au domicile du couple. Les enquêteurs imputent d'autres délits au groupe: consommation d'alcool, trafic de devises, relations sexuelles illicites… A les entendre, Nassya, Kristiana et Ashraf al-Hadjudj auraient avoué les faits.

Le mobile du crime? En avril 2001, le colonel Kadhafi se charge lui-même d'avancer une hypothèse: il pourrait s'agir d'une opération de la CIA ou du Mossad (services secrets israéliens)! Peu importe que des experts réputés, dont le Français Luc Montagnier, évoquent les conditions sanitaires… La justice a trouvé ses coupables, et le régime, un moyen de calmer la colère des familles de Benghazi. Résultat: le 6 mai 2004, les neuf accusés libyens sont acquittés, six des sept étrangers sont condamnés à mort. Seul le Dr Gueorguiev est libéré, mais il devra rester à Tripoli, dans l'ambassade de son pays, car le parquet a fait appel. Les juges n'évoquent ni la CIA ni le Mossad pour expliquer cette affaire. Cette fois, il est vaguement question d'une «expérience scientifique» menée par les Bulgares.

Bien sûr, ce verdict est vécu différemment d'un pays à l'autre. A chacun son drame, sa culture, ses douleurs. En Bulgarie, les proches des accusés se sentent désarmés; seules l'amélioration progressive des conditions de détention des infirmières et la possibilité de leur rendre visite rassurent quelque peu. «Je suis toujours reparti de Tripoli avec un sentiment d'impuissance», confie Ivaro Dimitrov, le fils de Snejana Dimitrova. En Libye, les parents crient victoire mais s'épuisent à combattre cette maladie «honteuse»: des enfants vivent à peu près normalement, d'autres souffrent, certains meurent, une vingtaine de mères sont contaminées… De Sofia à Benghazi, tous ces gens ont au moins un point en commun: il s'agit de citoyens ordinaires, emportés par une histoire qui les dépasse. Maçons, secrétaires ou commerçants, ils n'entendent rien à la diplomatie ni aux manœuvres politiques. «Nous comprenons le malheur des parents, explique Ivan Nenov, le mari de Nassya, mais nos épouses n'y sont pour rien. C'est une affaire libyenne.»

Depuis le verdict de 2004, Tripoli affirme qu'un accord financier est envisageable, à condition que la Bulgarie se mette d'accord avec les familles des enfants. En vertu de la tradition libyenne, elles seules pourraient en effet accepter le «prix du sang». Le montant avancé - 10 millions de dollars par victime - ne doit rien au hasard: il correspond à la somme versée par la Libye pour chacune des 270 personnes décédées en 1988 dans l'attentat de Lockerbie (Ecosse). En clair, Kadhafi tient sa revanche. Seul problème: les Bulgares refusent tout marchandage. «Ce serait une manière de reconnaître la responsabilité de nos compatriotes», expliquent-ils. Mais cela n'empêche pas les gestes de bonne volonté…

Le 28 mai dernier, le président Gueorgui Parvanov s'est rendu à Benghazi, au chevet des enfants. Il avait auparavant rencontré Muammar al-Kadhafi à Tripoli. Autre initiative: la création, début octobre, d'une ONG bulgare destinée à aider les Libyens. Là encore, l'objectif est de convaincre les habitants de Benghazi, à force de dialogue et de compassion, de l'innocence des infirmières.

Cette entreprise de séduction confine à la gageure. Pour les familles, ces «filles» sont coupables. Prétendre le contraire ne sert à rien, si ce n'est à alimenter la théorie d'un «complot». Car il y a bien eu complot, les parents de Benghazi en sont sincèrement convaincus, à l'image de leur porte-parole, Ramadan al-Fitouri. Cet ingénieur de 37 ans, marqué par le décès de sa petite sœur en 2001, affirme «faire confiance» à la justice de son pays. Il a lu tous les témoignages, décortiqué toutes les expertises, et sympathisé avec le chef de l'enquête, le colonel Juma al-Mesheri.

L'Express a pu rencontrer ce policier dont les investigations ont abouti aux condamnations du 6 mai 2004. Il parle haut et fort, c'est un homme d'autorité. D'obsessions, aussi. «Je sais que votre journal appartient à des juifs», prévient-il d'emblée. Etonnant personnage, tour à tour volubile et mystérieux… Les infirmières le désignent comme leur pire tortionnaire, coupable, selon elles, d'avoir extorqué leurs «aveux» par la violence. Une procédure judiciaire a été ouverte sur ce point, mais un tribunal de Tripoli a relaxé le colonel et neuf de ses collègues. La défense des Bulgares, dont l'association Avocats sans frontières France, a fait appel, sans trop d'illusions.

«Je ne les ai pas touchées, je suis père de famille!» se défend aujourd'hui le colonel, qui n'aime ni les avocats («payés par les juifs») ni la contradiction. Il a de cette affaire une idée précise, un scénario sur mesure. Kristiana, l'épouse du Dr Gueorguiev, n'y a pas le beau rôle. Selon l'enquêteur, cette infirmière installée en Libye depuis 1992 avait pour amant le Palestinien Ashraf al-Hadjudj; elle aimait les hommes, les dollars et l'alcool. «Regardez les photos des soirées qu'elle organisait!» insiste-t-il. Kristiana y apparaît en robe courte, en train de rire ou de danser, avec diverses personnes. Mais rien sur l'injection du sida à des nourrissons…

«Cette manipulatrice était au cœur de tout», assure pourtant le colonel. C'est elle qui aurait ordonné à Ashraf al-Hadjudj et aux quatre autres infirmières de contaminer les jeunes patients. Son mobile? «L'argent! Elle a reconnu avoir reçu 10 000 dollars d'un Irlandais, un certain John, et d'un Egyptien prénommé Adel, que nous n'avons pu identifier.» Reste à connaître ces mystérieux commanditaires et surtout leur but... Juma al-Mesheri hésite, sourit. Pour lui, il pourrait s'agir d'une firme pharmaceutique. «L'important est maintenant de découvrir où le virus a été fabriqué», poursuit-il. Comme son ami Ramadan al-Fitouri, de l'association des familles, il a bien sa petite idée: «En Israël, par exemple...»

Un combat qui sert d'exutoire
Pareille construction - dépourvue de preuves - présente un avantage majeur: elle épargne le régime. Son système de santé défaillant. Sa bureaucratie d'un autre âge. Ses richesses pétrolières, dont la majorité des Libyens ne bénéficie pas. Il suffit de parcourir Benghazi pour avoir une idée du décalage entre le potentiel de ce pays de 5,5 millions d'habitants et son état actuel. Cette ville côtière, réputée hostile au pouvoir et sensible au prosélytisme islamiste, manque de routes, de trottoirs, de ponts... Ses rues sont sales, ses immeubles délabrés. Il y a bien des hôpitaux - dont celui de l'affaire (250 lits, 170 médecins, des travaux de rénovation en cours) - mais ils rechignent à accueillir les enfants séropositifs. Ceux-ci doivent se contenter, depuis 2000, du centre spécialisé (14 lits) où nous les avons rencontrés.

C'est ici, dans les faubourgs, que le drame prend toute sa mesure. Des dizaines de jeunes patients viennent chaque jour pour des soins plus ou moins lourds. Les parents sont là, omniprésents, hommes et femmes, de tous âges, de toutes conditions, à patienter dans les couloirs. Leurs histoires se ressemblent, elles se racontent à mots simples, sous le regard de gamins incrédules, et se terminent toujours par cette question: «Qui peut nous aider?»

Même si le personnel est dévoué, et les locaux assez bien équipés, le centre sature. L'aide apportée depuis 2004 par l'Europe ne suffit pas. «Nous sommes à l'étroit, nous manquons de tout», assure l'un des médecins, Salem Mohamed al-Jerebi. Dans ces conditions, rien d'étonnant à ce que le combat contre les «assassins», attisé par la propagande, soit un exutoire. Au fil des ans, réunies par ce qu'elles appellent la «tragédie», les familles ont fini par constituer une communauté à part entière. Les enfants jouent ensemble. Les ados se fréquentent. Les parents, eux, s'en remettent à Allah. Ils vivent dans la peur du lendemain, avec le sentiment d'être livrés à eux-mêmes, abandonnés par un gouvernement indifférent à leur détresse. «La Libye est responsable, confie un père. C'est elle qui a engagé ces Bulgares.»

Les aides financières attribuées par l'Etat en 1999 ont été englouties. L'argent manque pour envoyer les enfants en Europe. Plusieurs centaines d'entre eux ont certes été soignés en Italie - toujours très active dans cette affaire - mais ce combat sera celui d'une vie, les familles en ont conscience. Pour consulter des spécialistes étrangers, des pères ont quitté leur emploi ou vendu la maison familiale. C'est le cas d'Amer Hamouda al-Fitouri, dont le fils Mohamed (11 ans) souffre à la fois du sida et d'une forme extrême d'épilepsie. Dans les moments de crise, le petit garçon donne des coups de tête contre les murs ou se frotte les dents, jusqu'au sang, sur la porte de sa chambre. «Les traitements pour les deux maladies semblent incompatibles, explique Amer. Je vais aller à Paris pour trouver une solution.»

A Benghazi, d'autres séropositifs vivent dans la souffrance: les adolescents, désormais en âge de mesurer les ravages de la maladie. Plus le temps passe, plus ils se sentent rejetés. En classe. Dans leur quartier. Parfois même au sein de leur entourage. «La crise sanitaire se double d'une situation sociale explosive», résume un médecin. Conséquence: certains abandonnent leurs études, à l'image de Rima Khalifa, 17 ans. Cette jeune fille a renoncé à devenir avocate. La faute au virus et aux préjugés: «J'en ai pris conscience le jour où, à la piscine, tout le monde est sorti de l'eau en me voyant. Alors, j'ai compris que mon nom serait à jamais associé au sida.»

Kadhafi en première ligne
Le 15 novembre, à Tripoli, la Cour suprême devrait donc rendre son arrêt, confirmant ou cassant la condamnation des six accusés. Seuls leurs avocats seront présents. Il n'y aura ni débat ni plaidoirie, juste quelques mots du président pour dire si le droit a été respecté ou non. A l'évidence, il ne l'a pas été: les droits de la défense ont été bafoués. Mais la cour en tiendra-t-elle compte? L' «indépendance de la justice», invoquée face aux pressions extérieures, est ici une notion toute relative. Ce dossier relève d'abord d'un homme, au pouvoir depuis trente-six ans: le colonel Kadhafi.

Dès lors, trois cas de figure sont envisageables: la confirmation de la peine capitale; un report de l'audience; la demande d'une nouvelle enquête. L'avocat libyen des Bulgares, Me Othman Bizanti, accorde «70% de chances» au troisième scénario. Il permettrait au colonel de gagner du temps. Donc de négocier. En attendant, les principaux protagonistes - les enfants séropositifs et les accusés - sont réduits à un rôle de figurants.


Post-scriptum
Depuis leur condamnation à mort, en mai 2004, Jacques Chirac a vainement tenté de plaider la cause des accusés auprès du colonel Kadhafi. D'autres personnalités politiques européennes (l'Allemand Schröder, l'Italien Prodi, l'Espagnol Zapatero…) et le pasteur américain Jesse Jackson n'ont pas eu davantage de succès.


Les prisonniers de Tripoli

Dans l'attente de l'arrêt de la Cour suprême de Libye, prévu le 15 novembre, les six accusés sont détenus à Tripoli. Le seul homme du groupe, le médecin palestinien Ashraf al-Hadjudj, est semble-t-il soumis à un régime sévère. «Des conditions terribles», affirme même Me Othman Bizanti, l'un des avocats des infirmières bulgares.

Celles-ci bénéficient, depuis 2002, d'un régime plus souple. Elles occupent actuellement un quartier particulier au sein de leur prison. L'endroit comporte deux chambres, une kitchenette, une petite cour et même la télévision, avec les chaînes bulgares et la BBC.

Les cinq femmes s'adonnent à la broderie, à la cuisine, à la lecture. Leur moral est fluctuant, les tensions sont fréquentes. Deux temps forts rythment leur semaine: le jeudi matin, la visite du Dr Gueorguiev, le mari de Kristiana; le dimanche, celle de l'ambassadeur de Bulgarie, Zdravko Velev. Ce dernier apporte le ravitaillement et… son téléphone portable. Elles peuvent alors appeler leurs familles, dans leur pays.


Cette expertise qui réfute le crime

Les milieux scientifiques internationaux sont convaincus de l'innocence des infirmières bulgares et du médecin palestinien accusés par les Libyens d'avoir sciemment injecté le virus du sida à plus de 400 enfants, entre 1998 et 1999.
Le professeur français Luc Montagnier, codécouvreur du virus, a enquêté en Libye. Il a notamment été chargé, en 2003, d'effectuer, avec son confrère italien Vittorio Colizzi, une étude épidémiologique fondée sur des analyses moléculaires. Leurs conclusions rejoignent celles d'autres scientifiques: la contamination serait due aux mauvaises conditions sanitaires. Elle aurait commencé entre 1994 et 1997, soit bien avant l'arrivée des Bulgares.
La nature de la souche infectieuse, très virulente, laisse supposer que la diffusion du virus a débuté avec l'hospitalisation d'un enfant ouest-africain. De mauvaises pratiques de stérilisation, peut-être aussi la promiscuité entre les patients, auraient entraîné la transmission accidentelle de la souche. Les Prs Montagnier et Colizzi se plaignent de n'avoir pas eu accès à des pièces essentielles: des flacons saisis, selon la police, chez une infirmière (Kristiana). La justice a tenu compte non pas de ce rapport, mais de celui de cinq chercheurs locaux qui écartaient, eux, l'hypothèse d'une infection nosocomiale ou l'utilisation de matériel déjà infecté. Conséquence: six des sept accusés ont été condamnés à mort en 2004.
Depuis, les revues Nature et Science ont plaidé leur cause, 32 spécialistes du sida ont écrit au colonel Kadhafi… Des démarches restées vaines. Pis, les familles des victimes contestent le travail du Pr Montagnier et envisagent des poursuites judiciaires contre lui.


Le temps des négociations

La Bulgarie veut sauver ses infirmières. Début octobre, à Paris, le ministre des Affaires étrangères, Ivailo Kalfin, a rencontré l'un des fils du colonel Kadhafi, Seïf al-Islam. Ce dernier est un personnage clef en Libye. Sa fondation, vouée à traiter des sujets sensibles, est souvent intervenue dans ce dossier en aidant les familles des enfants malades ou en améliorant les conditions de vie des détenues. En cas de tractations financières - ce que Sofia a toujours refusé - elle serait incontournable.
D'autres discussions occupent les deux pays. Sans liens, a priori, avec les infirmières… Il est question de projets communs, voire d'une «négociation» de la dette libyenne à l'égard de la Bulgarie (le montant serait de 55 millions d'euros). Bref, si ce pays ne paie pas, il fait tout pour se rendre agréable… Sofia joue son va-tout. Tripoli souffle le chaud et le froid. Et d'autres joueurs sont conviés, bien malgré eux, à ce poker menteur. L'UE, sans cesse sollicitée par la Bulgarie, semble à la fois soucieuse d'aider ce candidat à l'adhésion et de ménager un partenaire économique (la Libye) riche en pétrole. Même embarras côté américain: si George Bush soutient les Bulgares (membres de la coalition en Irak), rien ne dit qu'il aille jusqu'à la rupture avec des Libyens désireux d'en finir avec leur image de terroristes.
Kadhafi, lui, peine à sortir de cette affaire. Sans doute espère-t-il un accord financier et une prise en charge des soins associant les pays occidentaux. Explication de Luis Martinez, spécialiste de la Libye au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri, Paris): «Le colonel cède toujours quand il n'a plus le choix. Or, pour l'instant, les Occidentaux ont donné de la voix mais en continuant à parler business! Si la pression monte d'un cran, il reculera. Sinon, il laissera traîner.»

 

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